Adjustment Day de Chuck PALAHNIUK

Adjustment Day (2018)

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Voici ma critique du "Adjustment Day" de Chuck Palahniuk. Inspiré par le discours minoritophobe de Donald Trump, l'auteur transgressif américain se lance dans une nouvelle satire au vitriol de la société américaine (et qu'on pourrait également rapproché au mouvement Gilet Jaune en France)... Une sorte remake de 1984 version snapchat, bien décalé, voire même un peu-trop tiré par les cheveux, car par moment, c'est même un peu trop capillo-tracté que cela vous arrache les oreilles...

Adjustment Day de Chuck Palahniuk

Intrigue: Dans un futur proche, l'explosion démographique fait que le gouvernement américain ne sait plus quoi faire de sa jeunesse. Certains politiciens envisagent même de déclarer la troisième guerre mondiale contre l'islam pour réduire la population de manière conséquente, tant ici que là-bas.
Dans le même temps, un petit livre bleu circule sous le manteau avec les préceptes du mystérieux Talbott Reynolds. Celui-ci proclame que pour vivre heureux, nous devrions tous vivre uniquement avec nos semblables, sans aucune minorité oppressante. Les "pédés, tapettes, lesbiennes et autres trans-genres" devraient vivre entre eux à Gaysia en Californie, les blacks d'un côté dans les terres du Sud de Blacktopia et les blancs au nord dans celles de Caucasia; et à tous les autres ("hispanos, niakoués et bicots") de retourner dans leurs pays d'origine.
Pour y arriver, les disciples des préceptes de Talbott Reynolds doivent éditer la liste de ces bien-penseurs, de ces politiques et hypocrites médiatiques qui ont travesti l'image de la grande Amérique. Et pour que les citoyens américains soient de nouveaux fiers de leur terre, il est bientôt temps d'exécuter ce fameux jour d'ajustement, avant que l'administration technocratique ne pousse le monde à sa perte.
Remarque: lu en anglais
Remarque importante: cette critique utilise des termes péjoratifs pour désigner les minorités. C'est de l'humour et c'est le style de l'auteur, ne vous en déplaise.
Ma note: ma note
critique: ...



Chuck Palahniuk est un transgressif. Il aime pousser les exemples et les concepts à l'extrême pour nous rappeler qu'une idée bien pensante peut devenir parfois délirante, voire dangereuse, et que le populisme n'est que ruine de l'âme. Avec Donald Trump au pouvoir, l'auteur a de quoi se ressourcer avec l'antagonisme profond dans lequel les USA sont plongées. Avec l'intolérance de Trump et de ses troupes face à l'évangélisme inquisitoire de la gauche bien pensante, cette joute de mots (maux?) fait souvent rire mais il faut l'avouer, elle fait de plus en plus pleurer. Dans cette nouvelle, il les met dos à dos, pas pour le meilleur et bien entendu pour le pire; car pour les intellos, c'est plutôt dos au mur et une balle dans la tête.

Talbott Reynolds est Donald Trump

Derrière cette satire, c'est bien entendu Donald Trump qui est visé: il est d'une part symbolisé par le politicien véreux qui ne voit aucun inconvénient à liquider une partie de ces concitoyens. D'autre part, il est également incarné par le milliardaire délirant ayant inspiré la création du mythe de Talbott Reynolds. Enfin, c'est sa base électorale qui est visée, les "rednecks et autres ploucs blancs" qui renversent la démocratie et instaurent cette utopie sectaire. Toutefois, L'auteur n'attaque pas en mode frontal son président: il s'attaque en premier aux symboles et aux messages que Trump véhicule derrière lui, et en second lieu à tous ces gens qui suivent sans comprendre...

Cette satire révolutionnaire part de la base, tel un virus. Le livre tourne autour de personnages qui ont été des chainons clés dans la propagation de ces 3 républiques sectaires, sans qu'ils ne le comprennent eux-mêmes. Le plus amusant d'entre eux est bien entendu le milliardaire séquestré et torturé, qui fini par balancer des inepties, inepties qui sont la source du fameux petit livre bleu. Ce milliardaire a tout du Trump "twitter compulsif". Les préceptes sont loufoques et parfois à pisser de rire. Les autres personnages sont moins hauts en couleurs, du fait qu'ils sont comme un chien dans un jeu de quille, qu'ils sont des simples chainons reliant la grande histoire, et malgré leur position clé, ils sont juste des pions dans l'Histoire de cette révolution.

Derrières les hommes, il y a surtout les idées, et même si là cette révolution utopique est très bas de gamme, il y a quand même un fondement qui mérite une plus longue réflexion. Comme le rappelle Yuval Noah Harari dans son Homo Deus, nous nous distinguons de plus en plus par ce que nous sommes, et non plus par nos idéaux religieux ou politiques. Chuck Palahniuk part donc du principe que c'est nos pulsions individuelles et communes qui prendront le pouvoir. C'est une réflexion très intéressante, même si là, il va beaucoup trop loin dans son délire. Quoiqu'il en soit, c'est un fait: les réseaux sociaux accélère l'utopie de la lutte des classes: les gens se regroupent sur ce qu'ils pensent être et non plus sur ce qu'ils voudraient être.

L'autre idée saugrenue mais intelligente est la monnaie qui se déprécie vite si on ne l'utilise pas. Rien ne sert des garder des billets à la banque, il faut la dépenser au plus vite: un vrai concept capitaliste et tellement communiste. Un billet de 100 dollars n'a de la valeur que s'il circule vite de mains en mains, et par tous.
Enfin, il y a la sempiternelle lutte de l'auteur face au politiquement correct, où cette farce macabre a bien pour objectif que cela est humain d'être différent, et de vouloir à tout prix gommer, réajuster, annihiler ces différences revient à réduire ce que nous sommes. Ah j'en ai connu des gens qui ne peuvent plus entendre le mot "détail" sans sortir de leurs gonds. On va pouvoir s'attendre au pire en lisant leur critique acerbe envers ce livre "raciste, homophobe et prolétaire".
Toutefois, à part la boucherie du début avec le massacre des intellos, Chuck Pahlanuik est nettement moins transgressif qu'auparavant. Le style est bien plus travaillé, j'ai même du relire quelques passages plusieurs fois (en anglais) pour bien comprendre les mots et les double-sens. Il s'est appliqué sur la forme mais en négligeant un peu le fond. En partant d'une idée réaliste et cette idée géniale de coup d'état, il gâche notre plaisir avec un plat d'intrigues trop emmêlées. Ce "Adjustement Day" fait écho à Fight Club 2 où c'est la génération (inculte) post-Tyler Durden qui veut également son combat anti-social, anti-intello. Dommage qu'il se soit attaqué à une idée difficile à cadrer. En allant trop loin dans la fiction, Pahlanuik s'est perdu dans la réalité de l'écriture. Dommage.

Tyler Durden & Talbott Reynolds sont en gilet jaune

Quelques mois à peine après avoir écrit cette critique, j'ai été frappé en ces premiers jours de décembre 2018 par ces visions des Champs-Elysées en feu et face à cette incompréhension de ce qu'attendent les gilets jaunes. Je trouvais le délire de Pahlanuik trop extrême, mais en fait non. Ce mouvement Gilet Jaune en est également un écho franchouillard et cela fait tout drôle de voir que la réalité rattrape la fiction: quelques milliers de français veulent la mort de leur président, des médias et de tous les riches parisiens; et bloquent tout un pays.
Chuck Palahniuk a vu juste que la nouvelle croyance qui gouverne ce monde est celle du "c'est ce que je suis" et non plus en "c'est en cela que je crois". Et j'ajouterai que "vu que je suis minoritaire, c'est mon devoir de vous imposer ma vue des choses". L'auteur démontre l'absurdité du manque de repères stables, qui autorise de faire tomber l'arbre en sciant la branche sur laquelle nous sommes assis. L'auteur ne donne aucune leçon de morale, il souhaite juste montrer que ces 2 visions frontales sont sans issues si nous continuons à garder nos œillères, à n'écouter que seulement ce qui nous plait et voir seulement son propre miroir...
(paragraphe ajouté le 12/12/2018)


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