Oligarchy de Scarlett THOMAS

Oligarchy (2019)

Scarlett THOMAS - Oligarchy Scarlett THOMAS se lancerait-elle dans les romans pour ados? Non, pas vraiment, ses petites lolitas anorexiques nous jettent un regard froid sur la superficialité de notre société...

Intrigue: Natasha, fille d'un oligarche russe, mais qui a été élevée en toute simplicité par sa mère, est envoyée dans un pensionnat anglais au fin fond du Hertfordshire. Dans ce nouveau collège, isolé du monde, elle découvre un nouvel univers avec de nouvelles modes, de nouveaux codes et de nouveaux rituels. Entre la délurée française Tiffanie, Bianca l'anorexique, la pouponne Rachel, Lissa et Donya, Tash découvre qu'elle va devoir exceller dans l'obsession de toutes ses copines: le régime alimentaire.
Entre grignotage, régime sec et troubles alimentaires, l'anorexie guette et les met toutes à mal. Et tout bascule quand Bianca disparait, alors qu'elle était la favorite du directeur.
Tash décide alors de comprendre pourquoi Bianca a disparu et connaître le fond de l'histoire sur la princesse Agatha, qui occupa en premier le manoir transformé en collège.
Ma note: ma note
Remarque: lu en anglais
Ma critique:...



Scarlett Thomas a écrit ce livre très vite, sur une idée fugace et surprend son monde avec cette nouvelle très courte (à peine 200 pages), basée sur le quotidien de 5 adolescentes dans un pensionnat anglais, ce qui est assez loin de son style habituel. Et comme elle a déjà écrit une série de nouvelles pour les enfants (série Worldquake), on pourrait craindre que Scarlett se diversifie et nous fasse une sorte du "Club des 5" ou d'un "Bennett" des temps modernes (2 séries de la bibliothèque verte que j'ai dévorée durant mon enfance écrit respectivement par Enid Blyton et Anthony Buckeridge, pour info) en trouvant un nouveau créneau pour les adolescents.
Mais comme les apparences sont souvent trompeuses, l'auteure anglaise se joue des romans pour ados (mals dans leurs peaux) et elle nous délivre une petite satire adolescente acidulée. Elle apporte tout son humour noir et vitriolé sur la crédulité de ces jeunes filles face à la mode des régimes et des us et coutumes des adultes qu'elles ne comprennent pas.

Cette crédulité s'explique d'une part au travers de l'effet mouton et de l'absence d'expérience (et de savoir) pour relativiser les rumeurs, les légendes urbaines et fausses bonnes idées qui leurs passent par leur tête. Ce microcosme insulaire est une satire de la mode et des effets "buzz" d'internet où toute une partie de la toile s'enflamme pour rien, simplement du fait que la première personne ayant relevé l'information était la plus influenceuse. L'autre part de cette crédulité vient également du manque d'expérience et cette confiance absolue dans la formation qu'on leur prodigue: ce sont des filles de riches, avec les soi-disant meilleurs professeurs et ne remettent absolument pas en cause ce qu'on leur inculque, ni même les qualités de leurs professeurs, alors que ceux-ci n'ont rien d'extraordinaire (au contraire!).
Enfin, il y a cette sous-jacente sexualité inconsciente des jeunes pré-pubères qui sont à mille lieux de comprendre les éventuels désirs qu'elles provoquent et qu'elles ressentent. Elles répliquent maladroitement les gestes et les dires des adultes qu'elles adulent: les femmes maigrissimes des magazines de mode et les quelques "figures" féminines adultes qu'elles côtoient: le spectre de Princesse Agatha, les grandes soeurs (qui ne sont que les répliques des mêmes répliques) et pour Natasha, sa tante Sonja, femme cynique qui lui dit maladroitement, et sans le décodage générationnel, du pouvoir et de la grande faiblesse du genre féminin.

Scarlett Thomas évite de tomber dans le piège de la Lolita et de cette sexualité sous-jacente en éclosion: il y a l'envie et le désir inconscient mais elle ne va guère plus loin dans l'exploration de la sexualité par ces jeunes filles. L'auteure préfère s'attarder sur la superficialité des choses, qui est en fait la principale préoccupation de ses héroïnes. Et comme à son habitude, c'est très bien écrit, fort bien imagée avec ses petits détails provocants. Le chapitre liée à la pandémie de gastro dans le collège est un pur délice, tout comme la résolution de cette histoire.
La recette de son livre repose donc sur différentes strates, drôles et naïves (la crédulité des jeunes filles), graves et sensibles (l'anorexie), sensationnel et lugubre (le mystère de Princesse Agatha et de la femme du proviseur) avec toujours sa vision satirique et pointue sur le devenir de notre société où tous les repères sont brouillées et illisibles pour les futures générations.
En effet, ces jeunes filles sont en pleines constructions et sans modèle, sans relativité aucune, dans leur cocon et face à leur miroir déformant leurs qualités en défaut, et leurs défauts en qualité. Cette micro-société faites d'obsessions et de snobismes est à l'image de notre société actuelle, où c'est justement l'image qui fait la force et non le caractère. Scarlett Thomas joue également sur l'ambivalence de faire un livre sur des adolescentes mais avec une projection, ou du moins, un niveau de lecture (ou plutôt de compréhension), définitivement adulte et décalé. Au final, comme toute bonne satire, on ne sait plus à qui le message est destiné. Certainement pas pour les jeunes filles, ni leurs mères (ou leurs pères), mais pour les adulescents, ceux qui ont toujours leur âme d'enfant tout en étant sarcastique ou cynique sur leur sort.

Références


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