Déliverance est arrivé sur les écrans peu après que les américains ont franchi avec succès leur dernière frontière connu: l'Espace. Kennedy avait en effet proclamé quelques années auparavant que les Etats-Unis avaient forgé leur société en repoussant leurs frontières toujours plus loin: celle de la souveraineté face aux Anglais, celle de liberté face aux sudistes esclavagistes, celle du far-west en conquérant totalement le territoire des USA, et enfin, l'Espace, avec l'objectif de poser pied sur la lune.
Déliverance arrive donc à point nommé avec cette fin de conquête et la fin douloureuse du conflit vietnamien. John Boorman nous compte ici un western moderne qui joue sur les mythologies américaines dans le seul but de les démonter. Il rappelle ainsi aux américains qu'ils font face à une crise identitaire, et que la société américaine n'a finalement pas repoussé toutes ses prétendues frontières.
Déliverance met en scène 3 profils type de la société américaine: l'aventurier, l'épicurien, l'idéaliste. Le dernier profil est celui du narrateur, du personnage central, qui se retrouve être un peu l'américain moyen, le monsieur tout le monde auquel tout le monde peut s'identifier. Mais Boorman joue avec la psychologie de ses personnages et les met face à leur plus grande peur, et à ce qui leur est antinomique. Ainsi,
- Lewis l'aventurier qui est fasciné par l'idée de survie et le culte du corps et du courage physique terminera infirme et avoir le sentiment d'avoir son corps et son âme sali à tout jamais.
- Bobby le bon vivant pragmatique, adepte d'un hédonisme facile sera quant à lui le plus touché dans sa chair, et devra couiner comme une bête pour s'en sortir.
- Drew, l'idéaliste qui croit à la loi de la démocratie et à la justice finira seul face à la violence de l'Ouest américain, impuissant et sera englouit par les flots.
- Enfin Ed, le narrateur, l'homme moyen sans caractéristiques particulières est le témoin mal à l'aise, qui nous transmet son aveux.
La narration de l'histoire repose donc sur ces confrontations contradictoires et John Boorman se permet d'en rajouter: les "sauvages" locaux ont des fusils alors que les citadins n'ont que des flêches et un arc pour se défendre... Les 4 hommes sont partis à la découverte dece qui ne sera plus (le fleuve), et être ainsi les derniers pionniers du la conquête de l'Ouest. Mais au final, ce sont des pionniers d'un nouveau genre, ceux qui franchissent le fossé entre les 2 amériques: celle des riches citadins, et celles des pauvres qui vivent dans les coins reclus du Grand Ouest.